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Nico le ptiot et Fillon le couillon
21 juin 2005

Le cancer de ma femme

Le cancer de ma femme

Un soir, comme d’habitude, je suis rentré à la maison nonchalamment. J’étais à trois ans de la retraite. J’appréhendais la fin de ma vie active d’une manière détachée et sereine. J’avais fait mon temps, un point c’est tout. J’envisageais l’avenir avec ma femme dans notre petite maison achetée, il y a peu, en Normandie, partagé entre la pêche, le jardinage et les longues soirées avec celle qui était à mes côtés depuis trente ans, à écouter craquer le feu dans la cheminée, se remémorer notre jeunesse, nos passions, nos ébats, nos joies et parfois nos peines aussi de parents, de grands-parents et tous ces petits riens qui ont fait notre vie conjugale. Nos tromperies aussi, car nous en avions eu bien évidemment, je pense. Les longs soupirs échangés nous le laissaient supposés.

Bref, nous nous dirigions vers la continuité d’une vie tranquille et sans histoire comme tout un chacun de cette immense majorité silencieuse. J’entre dans le hall de l’immeuble, ouvre la porte qui donne sur l’escalier et monte sans me presser les trois étages qui accèdent à notre petit nid J’essuie mes pieds sur le paillasson, plus par habitude que par propreté, tourne la clef et entre dans le vestibule.

Je referme la porte et lance :

            Tu es là, ma chérie ?

Le silence rempli de quiétude de l’appartement répond à ma question. J’accroche ma veste, chausse mes chaussons et me dirige vers la salle à manger. La porte de notre chambre est entrouverte et un léger sanglot parvient à mes oreilles. Je pousse la porte doucement. Elle est là, ma femme, assise sur le lit pleurant silencieusement sur un quelconque malheur. Aussitôt une angoisse m’étreint, une douleur sans nom enserre ma poitrine en même temps qu’une question lancinante et redoutée s’implante dans mon cerveau.

            Quel drame va-t-elle m’annoncer ?

Sans dire un mot, je m’assois près d’elle et l’entoure de mes bras et de mon affection. Aussitôt, elle plonge sa tête dans mon giron et sanglote bruyamment en s’abandonnant comme le fait un enfant.

Je frémis un peu plus en pensant :

            Quelle malédiction nous est tombée dessus ?

            Qu’allons nous affronter de nouveau ?

Parce qu’à nos âges, nous n’avons plus les forces nécessaires pour affronter des tâches et des épreuves comme par le passé. Nous ne demandons plus qu’à vivre en paix et mourir doucement et dignement.

Je me reprends, la berce quelque temps et lui demande :

            Qu’y a-t-il Jeanne ?

Puis, je la force avec mes deux bras à me faire face et la regarde avec toute la tendresse de nos années de vie commune. Elle est là, face à moi, pleurant, la souffrance se lit sur son visage, la peur également. Je sens son corps inerte et comme sans vie, sans force, sans réaction.

            Dis-moi Jeanne, que se passe-t-il ?

Elle lève sur moi ses yeux imbibés de larmes et d’une voix timide me dit :

            J’ai un cancer, Paul, un cancer généralisé.

Ce mot me fait l’effet d’un couperet hallucinant et fatal. Un cancer, elle est atteinte de ce mal qui va la ronger jusqu’à la fin. Je pense à elle, je tremble. Elle se jette dans mes bras et pleure à chaudes larmes. Il faut que je me reprenne et lui prodigue du réconfort. Elle doit en avoir un impérieux besoin. Laissant de côtés mes pensées malsaines, je m’efforce de la tranquilliser en lui parlant des enfants, de la famille, de sa vie, de la mienne, de la nôtre. J’y parviens enfin et lui arrache quelques sourires à travers des larmes de miséricorde. Elle se reprend, essuie ses yeux, se lève et se dirige vers la cuisine pour reprendre son labeur quotidien. Je reste seul désemparé et abasourdi par la terrible nouvelle. Pendant le repas, elle m’explique qu’elle se sentait fatiguée depuis quelque temps déjà mais elle pensait que c’était normal avec l’âge. Puis des migraines atroces se sont emparées d‘elle ainsi que des douleurs parfois très vives un peu partout dans son corps. Devant tous ces maux, elle s’est enfin résignée à consulter le corps médical. La sentence est sans appel.

Elle entre à l’hôpital demain matin.

Le repas fut expédié sans entrain et sans plaisir. La nuit fut longue également à tourner entre ces draps inertes et froids sur le lit de nos amours et de nos rêves maintenant évanouis. Le silence était pesant et dissipait tous les songes. Il ne restait qu’un cauchemar réel et à vivre, un cancer pour horizon. Je n’ai pratiquement par fermé l’œil de la nuit. Elle s’est assoupie dans un sommeil trop lourd hérité des médicaments qu’elle n’allait plus cesser de prendre dorénavant.

J’ai pensé à un instant :

            Je vieillirai donc seul, tout seul comme un vieux con. Ce n’est pas elle qui me fermera les yeux, qui me donnera mes médicaments, qui veillera sur ma vieillesse. L’idée de me retrouver seul m’était insupportable, intolérable. Je me suis finalement endormi dès les premières lueurs de l’aube.

Je l’ai accompagné jusqu’à sa chambre, sans rien dire, sans parler, puis je l’ai abandonnée aux médecins et à leur petite science.

Son calvaire fut long et difficile de même que le mien, seul dans le trop grand appartement de nos amours mortes, seul à manger, à dormir, à ne pas voir et écouter les malheurs du monde, ses bonheurs aussi étalés sans honte aucune aux yeux des pauvres gens.

Nos enfants sont venus assister à la fin de leur mère chérie. Ils affichaient un chagrin superficiel et de circonstance. Leur jeunesse et leur inexpérience les empêchaient d’appréhender la perte d’un être cher. J’avais fait de même à leur âge. Plus tard, ils comprendraient la vraie signification de l’absence. Quand cet être qui vous était indispensable ne sera plus jamais là à vos cotés. Qu’il ne vous dispensera plus son amour et sa sollicitude. Qu’il n’y a désormais aucun rempart contre le sort inéluctable qui attend chacun de nous. Alors on regrette beaucoup les parents, les grands-parents et leur tendresse qui empêche les ennuis de vous atteindre. Désormais ce temps là est terminé, il appartient au passé et on entre dans le grand livre des peines et des ennuis qui ne se refermera qu’avec la mort pour compagne.

Elle subissait toutes sortes de thérapie, presque toutes mauvaises, sans rechigner, sans révolte, résignée devant l’implacable destin. On lui administrait de la morphine pour qu’elle ne ressente plus ces abominables douleurs. Elle perdit ses cheveux, ses sourcils. Le reste de sa beauté de femme mature s’envolait. Elle dépérissait à vue d’œil. Je feignais de ne pas m’en apercevoir et lui offrais beaucoup de maquillage en lui assurant qu’elle était toujours désirable. Elle souriait d’un air qui voulait dire qu’elle n’était pas dupe. Nous n’avons jamais parlé de son combat contre cette terrible maladie. Elle lui appartenait à elle et rien qu’à elle. Les médecins m‘informèrent à maintes reprises de son état qui ne cessait de se détériorer. Rien n’y faisait, la chimiothérapie, les lasers  étaient sans effet ou si peu. Je compris rapidement qu’elle allait droit à une mort certaine. De toute façon, je crois que c’était perdu d’avance. Jeanne n’était pas une battante, elle détestait les heurts et les conflits. C’était une nature tranquille, gentille et généreuse. Cette maladie qui s’était infiltrée en elle faisait partie de son univers, elle ne pouvait la chasser, encore moins la combattre.

Puis, les douleurs sont revenues avec plus de force et d’intensité qu’auparavant. La morphine ne faisait plus illusion. Alors, je la vis souffrir atrocement et cette torture déformait tout, son visage, son pauvre corps qu’elle cachait maladroitement sous des draps froissés et défaits. La voir ainsi était intolérable pour tous deux. Un jour elle me demanda de mettre fin à cette peine au nom de nos amours, de nos enfants, de notre petit bonheur arraché à cette humanité avide de tout, humaine de rien. Je savais déjà que j’allais y souscrire, je ne pouvais rien lui refuser, encore moins cela. Il fallait qu’on puisse croire à une fin normale et attendue. Le corps médical m’annonçait une mort proche et inéluctable. Un après-midi, pendant qu’elle dormait profondément grâce à des doses plus élevées de morphine, le silence de l’hôpital était une invite à agir. J’ai pris son oreiller et tout naturellement je l’ai placé sur son visage en le maintenant fermement. Au bout de quelques secondes elle a bougé, cherchant désespérément de l’air. J’ai conservé la pression, elle était si faible, quelques secousses un peu plus violentes ont vainement tenté de supprimer l’étreinte fatale, j’ai résisté en regardant au loin dehors la pluie qui tombait et le gris du ciel qui annonçait la fin.

Ce n’est pas elle que je tuais, c’était son cancer.

Après plusieurs minutes ainsi paralysé par l’événement j’ai ôté l’affreux coussin. Ses yeux étaient exorbités et ne regardaient plus rien, alors je les ai fermés tendrement. Elle semblait dormir ainsi, reposée, presque heureuse.

Mais ma Jeanne était partie depuis longtemps rejoindre un repos bien mérité au royaume des pauvres gens. Je me suis sauvé comme un voleur sous la pluie humide et froide comme la mort. J’ai erré longtemps seul dans la trop grande ville. Je suis enfin rentré dans l’appartement qui n’était plus qu’un hangar à souvenirs. L’hôpital m’a prévenu que le cœur avait cédé.

On l’a enterrée peu après au cours d’une cérémonie discrète et familiale. J’ai repris une vie banale et triste sans personne à mes côtés. Trop grand le lit de mes ébats, triste mon quartier, misérable mes repas sans tendresse, sans connivence. Mes soirées trop nombreuses et si longues à ne rien voir, rien entendre de la télévision poubelle. Mes discussions sans écho pour répondre à mes angoisses solitaires.

Dorénavant, je n’espérais plus une paisible retraite mais redoutais de vieillir trop abandonné à attendre une fin hypothétique.

A croire qu’un dieu m’avait entendu. J’étais fatigué, de plus en plus las, j’avais du mal à me lever, à faire la moindre corvée. Je pensais que la vie s’enfuyait de ce corps trop usé par une vie bien remplie, que c’était normal à cet âge.

Un jour, un vertige me prit et je dus patienter longtemps avant de reprendre une posture normale. Je résolus d’affronter un charlatan de la vie.

Le médecin m’apprit qu’un cancer avait commencé son œuvre. Ainsi donc, moi aussi, je pouvais contracter ce mal étrange et maudit. Se pouvait-il que Jeanne me l’eut donné pour qu’on se rejoigne unis dans la vie, la maladie et la mort. Curieusement le mot ne me fit plus peur, il était presque bienvenu. Un cancer, un de plus, un pour Jeanne et un autre pour moi. Quoi de plus normal ?

Oui, mais qui allait me poser l’oreiller sur la tête ?

Il n’y avait personne pour faire ce geste d’amour et de pitié. Je devais entrer à l’hôpital bien vite pour espérer vaincre cette malédiction avait insisté le docteur. J’avais répondu affirmativement sans réelle conviction.

J’ai longtemps vagabondé dans la grande cité aux trop nombreuses âmes comme un piéton sans but, comme un touriste du passé qui s’enfuit à chaque façade qu’il ne reconnaît plus, à ses nombreuses échoppes disparues.

Je pensais sans cesse à l’oreiller.

C’est décidé, demain je serai un piéton qui aura un accident, un de plus. J’ai mis l’appartement en ordre, j’ai refait une dernière nuit sans dormir à me rappeler tous les souvenirs contenus dans cette chambre, dans ce petit appartement et …Il y en avait des ébats, des passions, des colères, des cris, des pleurs et des rires.

Je ne pensais pas qu’il y en avait autant. J’ai été heureux cette nuit là. Heureux comme un condamné à mort peut l’être en apprenant que son calvaire touche à sa fin. Et puis, elle m’attendait là haut ma Jeanne. Jeune, belle, souriante et m’aimant comme Roméo, comme Yseult. D’autres aussi m’attendaient et non des moindres, des parents, des amis, des copains. C’était drôle, je connaissais plus de monde décédés que de vivants. Je compris qu’il était temps de partir.

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Nico le ptiot et Fillon le couillon
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